Technique
La technique du levain mousse est née en Allemagne pendant l’après-guerre. Elle consiste à produire des levains surhydratés.
La technique du levain mousse est née en Allemagne pendant l’après-guerre. Elle consiste à produire des levains surhydratés. © A. DUFUMIER

Traditions du levain dans le monde : voyage aux pays des levants

La fermentation est un processus vivant universel qui a été largement apprivoisé par les communautés humaines. Aujourd’hui encore, multiples sont les traditions du levain à être perpétuées dans le monde. En voici quelques unes.

Si « le sol est notre premier estomac », comme l’écrivait l’agriculteur philosophe Pierre Rabhi, le levain en est certainement le second. Car il transforme et potentialise les nutriments des plantes pour produire un aliment normalement plus digeste, avec une qualité de conservation et des propriétés gustatives intéressantes. Cette découverte des potentiels des levains et les savoirs qui lui sont associés ont été partagés et mis en application dans de nombreuses traditions du monde.

Levain de pomme de terre

Pour produire un levain, il faut avant tout une source de glucides — habituellement sous forme d’amidon — qui puisse nourrir les bactéries et levures du levain, spécialisées dans la digestion de ces molécules. Le peuple maori de Nouvelle-Zélande perpétue ainsi une tradition de pain fermenté à base de pomme de terre née au XIXe siècle, le pain rēwena parāoa, encore appelé pain maori. Pour le produire, on fait bouillir puis on écrase des pommes de terre (notamment la variété traditionnelle taewa, voire du kumara, de la patate douce), qu’on mélange à de la farine de blé et à un peu de sucre. Ce “starter” est rafraîchi pendant plusieurs jours à la purée de pommes de terre avant d’être mélangé avec une farine de blé pour la pétrissée finale.

L’injera, fabriqué à partir d’un levain de teff, se présente sous forme d’une crêpe qui ressemble beaucoup à une galette bretonne. (© Olivier Lasbouygues)

En Afrique de l’Est, une tradition beaucoup plus ancienne est celle de la production de l’injera (les premières preuves d’usage remontent au VIIe siècle). L’injera constitue en Éthiopie le pain de base. Il se présente sous forme d’une crêpe fine ressemblant beaucoup à une galette bretonne. Il est préparée avec le teff, une céréale ancienne locale qui ne contient pas de gluten. Pour ce faire, une pâte liquide est fermentée naturellement pendant deux à trois jours grâce à un levain mère (appelé ersho), recueilli d’une fournée précédente. Une portion de cette pâte fermentée est cuite puis réinjectée dans le mélange pour une seconde fermentation de deux heures environ. Une fois prête, la pâte est versée sur une plaque chaude conique. Au Soudan, on utilise de la même manière du sorgho pour produire le kisra.

Rafraîchi au soleil

La panification au levain serait née en Égypte et aurait, selon certains, largement contribué à l’édification des pyramides du fait de ses atouts nutritionnels. Pas étonnant que s’y perpétue encore la production de différents pains au levain. Parmi eux, celle du pain shamsi, ou “pain soleil”, consiste à produire une pâte de blé de farine complète mise à lever face aux rayons du soleil. Juste avant la cuisson, il est parfois grigné sur les côtés en étoile, pour donner l’idée stylisée d’un soleil rayonnant. La cuisson se fait dans un four en terre cuite ou sur un fer plat. Ce pain serait une survivance d’une tradition liée au culte, antique en Égypte, de Ra, le dieu du soleil. Cependant, aujourd’hui, le pain le plus consommé dans le pays est sans conteste le pain baladi, subventionné par l’État. La production de cette sorte de pita peut se faire à la levure ou au levain.

La pâte à tortilla

En Amérique latine, la tradition préhispanique de la masa agria, ou pâte de maïs fermentée, est utilisée dans la production traditionnelle de produits emblématiques, comme les tamales, les empanadas, les envueltos ou même pour les tortillas. Les grains de maïs sont d’abord nixtamalisés, c’est-à-dire traités à la chaux ou à la cendre pour aider à libérer chimiquement les nutriments du maïs grâce aux effets alcalins de ces ingrédients. Les grains ainsi traités sont pelés, immergés dans l’eau et laissés à fermenter spontanément à des températures allant de 35 à 40 °C pendant trois à cinq jours. Cette fermentation lactique naturelle génère une acidité, après quoi les grains sont lavés et broyés pour former la pâte. La masa agria contient des bactéries lactiques, acétiques et des levures, comme dans un levain de blé classique. Cependant, elle n’est pas utilisée pour faire lever la pâte, mais plutôt comme un ingrédient apportant consistance, saveur, digestibilité et conservation à une variété de préparations. Cet usage se rapproche de celui des levains vieux d’une semaine, appelés wochensauer, en Allemagne. Très acides, ceux-ci sont employés comme ingrédients pour typer les pains et non comme agents levants.

Une pâte de maïs fermentée est utilisée dans la fabrication de produits sud-américains emblématiques, comme les empanadas. (© Dark Prism/Pixabay)

Levain mousse

En Allemagne, est née également après-guerre une tradition de levain mousse, qui consiste à produire des levains très hydratés entretenus à des températures relativement chaudes, autour de 30 °C. Le dernier rafraîchi se fait avec une quantité d’eau presque équivalente à l’eau de coulage nécessaire pour produire la fournée. Le jour de la panification, la farine est simplement mélangée à ce levain très liquide. L’eau éventuellement ajoutée ne sert qu’à équilibrer la tenue de la pâte. Le levain mousse est présenté comme produisant un profil aromatique plus doux, avec une acidité équilibrée, plutôt lactique. Le levain mousse est particulièrement employé dans la fabrication de pains de seigle, auxquels il assurerait une production de gaz propice à mieux faire lever ces pâtes lourdes.

La technique du levain mousse est née en Allemagne pendant l’après-guerre. Elle consiste à produire des levains surhydratés. (© A. DUFUMIER)

Un levain à saké

Au Japon, la tradition du levain ne sert pas spécifiquement à la production du pain, mais plutôt les ferments nécessaires à celle du saké, une boisson alcoolisée. Nommé shubo, ce levain est réalisé traditionnellement à base de riz cuit à la vapeur et d’un levain mère de riz (koji) volontairement infecté par le champignon Aspergillus oryzae et des bactéries lactiques. Une acidification par ces dernières est attendue dans le processus de fabrication du saké en vue de limiter la prolifération de bactéries indésirables.

En Amérique latine, certaines traditions séculaires utilisent un levain pour démarrer les fermentations de boissons alcoolisées à base d’amidon, comme les chicha. La tradition de la chicha de Yuca consiste à améliorer le démarrage du levain par la mastication et la recrache de graines de maïs ou de racines de manioc. Cela permet notamment d’introduire les enzymes de la salive pour accélérer la transformation de l’amidon en sucres fermentescibles en alcool. Une option plus ragoutante est de réaliser une germination préalable du maïs pour activer les amylases du grain.

À lire également
Des méthodes à très fort ensemencement sont également pratiquées, avec incorporation de 40 à 100 % du poids de levain par rapport à celui de la farine.

Technique

Cinquante nuances de panification : le levain dans tous ses états

La pratique de la panification au levain est une source intarissable d’innovations au fournil, qui peut prendre des formes très différentes. Voici quelques pistes pour sortir avantageusement de sa zone...

Les seuls ingrédients nécessaires pour fabriquer un pain d’épices sont la farine de seigle, le miel et les épices, avec un soupçon d’eau, de sel et de levain, ou de levure chimique.

Technique

Subtilités de la préparation du pain d’épices sur pâte mère et ses déclinaisons

Derrière la complexité des arômes du pain d’épices, se cachent des ingrédients et des recettes plutôt simples, qui offrent de nombreuses possibilités créatives. La difficulté tient surtout à la nécessaire...

Les analyses bactériologiques sont à réaliser prioritairement sur les aliments élaborés sur place et les plus sensibles, comme les viandes hachées.

Technique

Sécurité sanitaire alimentaire : déployer les bonnes pratiques d’hygiène

Veiller à la sécurité sanitaire de sa production est une obligation réglementaire. Il existe des outils éprouvés permettant de s’y conformer, comme la méthode de l’analyse et de la maîtrise des points...