Sur sa veste de chef boulanger, Gauthier Denis a fait broder un colibri bleu et or. Ce petit oiseau d’Amérique du sud est connu pour son patient labeur. Le dessin géométrique choisi par Gauthier témoigne de sa rigueur, le bleu est sa couleur préférée, et l’or, synonyme d’excellence. À 31 ans, ce professionnel a déjà un parcours très enviable. Il a fait ses débuts à la boulangerie Dossemont (Paris 15e), a beaucoup appris au labo du Plaza Athénée (Paris 8e) avant de devenir chef boulanger enseignant dans des institutions d’envergure internationale : Le Cordon Bleu et l’École des arts culinaires Lenôtre. Le jeune homme a eu de sacrés mentors. Après son expérience de chef boulanger au domaine de Baumanière, dans les Bouches-du-Rhône, il a créé au printemps 2025 sa propre activité de conseil et de formation qui intervient dans des fournils et des labos, en France, en Asie et au Moyen-Orient. Sa créativité, remarquée lors des concours, puise dans une sensibilité évidente et de nombreux voyages.
La Toque magazine (LTM) : Votre vocation est-elle née dans la cuisine familiale ?
Gauthier Denis (GD) : Je suis né à Saumur [Maine-et-Loire], au sein d’une famille où l’on cuisine beaucoup. Enfant, j’aidais ma mère à touiller, et je léchais les plats. Chez nous, tout ce qui tournait autour de la nourriture permettait de passer de bons moments, de nous retrouver. Je rêvais de devenir cuisinier. La première fois où j’ai mis la main dans la pâte à pain, j’en ai eu des frissons. Ça détend, c’est presque thérapeutique. Je me suis dit : “C’est ce que je veux faire tous les jours”. Mon père, médecin, a insisté pour que je passe le bac.
LTM : Formé au Campus des métiers de Joué-les-Tours, en Indre-et-Loire, vous êtes alternant à Paris, pourquoi ?
GD : Je me suis rapidement ennuyé dans la première entreprise où j’ai travaillé et cela me tenait à cœur de vraiment tout apprendre sur le métier. Un week-end, j’ai pris mon sac à dos et je suis parti à Paris déposer mon CV. J’ai eu un bon échange dans l’une des dix meilleures boulangeries de Paris à ce moment-là : la maison Dossemont. Sans doute que le fait que j’ai la tête sur les épaules et que je sache un peu où je voulais aller leur a plu. Après le CAP, ça a été la mention complémentaire en Tourraine, donc j’étais beaucoup dans les trains… Puis, j’ai eu la chance de participer à l’ouverture de la seconde boutique de la maison, rue Daguerre [Paris 14e].
LTM : Vous découvrez alors les problématiques d’une entreprise
GD : J’ai appris l’organisation d’une grosse production, la gestion du stock, celle des absences du personnel, etc. Nous travaillions de 4 heures à 16 heures, tous les jours. C’était un peu sport mais ça permettait d’apprendre toute la sandwicherie, un peu de pâtisserie. Je me suis diversifié à ce moment-là et cela m’a pas mal aidé ensuite.
LTM : Comment avez-vous accédé à la boulangerie du Plaza Athénée Paris ?
GD : Au test d’entrée au brevet professionnel, à l’École de boulangerie et de pâtisserie de Paris, mon profil est sorti comme “adapté à l’hôtellerie de luxe”. Très surpris, j’ai reçu un appel de Guillaume Cabrol [chef boulanger, NDLR] pour me proposer de visiter le labo du Plaza Athénée et de faire partie, quatre jours par semaine, de l’équipe du matin — de 3 heures à 16 heures —, celle qui prépare les pâtes. C’est le poste le plus intéressant, on sortait six cents viennoiseries par jour. Je me suis montré débrouillard et j’ai compris qu’il y a toujours une solution. Le sous-chef Manuel Rios est devenu mon papa en boulangerie. Il m’a aussi permis d’aller à Naples [Italie], en novembre 2016, apprendre l’art du panettone avec Pasquale Marigliano [chef pâtissier italien, NDLR].
LTM : En parallèle, vous expérimentez avec Thierry Delabre, de Panadero Clandestino
GD : De 22 heures à 9 heures du matin, nous faisions la fournée ensemble : des grosses pièces de pain, et des brioches. J’avais mes connaissances de boulanger et lui du levain et des variétés anciennes de blé. Il y avait une émulation permanente entre nous deux, on essayait de comprendre la fermentation. Assis sur les sacs de farine, on regardait le produit se développer au four, prendre de la couleur. Les arômes étaient tellement puissants qu’on devait sortir. Ensuite, j’ai choisi Moulins Viron, pour l’éthique, le respect du produit et de l’artisan. J’en suis l’un des ambassadeurs.
LTM : À 25 ans, l’institut Le Cordon Bleu Paris vous confie des formations…
GD : Olivier Boudot, champion d’Europe de la boulangerie, était le directeur technique de la boulangerie de l’institut. Après l’entretien, je passe le chef test et j’occupe pendant six mois le poste de responsable de la production. Puis, il manquait un chef boulanger enseignant et le chef Éric Briffard, à la tête de l’école, indique : “On fait monter Gauthier, il a largement le niveau”. Du jour au lendemain, je me suis retrouvé avec un classeur, devant des étudiants. J’ai demandé conseils à mes collègues formateurs. En échangeant avec les élèves qui venaient d’Amérique du sud et d’Asie, je me suis peu à peu amélioré. Je faisais des démonstrations de trois heures devant quatre-vingts personnes, avec un traducteur et une caméra pour suivre mes explications.
LTM : Que vous a apporté le fait de préparer les coupes de France et d’Europe ?
GD : J’ai besoin d’être nourri de nouveautés et de challenges. Préparer des concours permet de gagner dix ans de travail. Ce qui fait un bon boulanger, c’est la patience. J’ai appris des anciens qu’il faut laisser la pâte travailler tranquillement pour qu’elle prenne ses arômes. Tout mon travail est axé sur le goût, et je recherche les formes en dessinant au crayon gris. Je m’intéresse à l’art, et j’échange beaucoup avec mon frère Clément Denis, artiste peintre.
LTM : Pourquoi vivre désormais sur l’île de Noirmoutier, en Vendée ?
GD : Depuis cinq générations, nous y avons une maison de famille. Quelque temps après la naissance de notre fille Alba, nous avons choisi de nous y installer. J’y ai un mini-labo personnel. Et je me déplace pour répondre aux demandes de formations, de conseils en organisation, etc.